Conversation avec Shin Sang-Okk
Propos recueillis par Adrien Gombeaud


Né le 12 septembre 1925 à  Ch'ongjin ( province de Hamgyong en actuelle Corée du nord ) Shin Sang-Okk a étudié la peinture à Tokyo avant de se tourner vers le cinéma.
Sa carrière est l'une des plus longues de l'histoire du cinéma coréen, il a tourné plus de 120 films. En 1978 il est enlevé avec sa femme l'actrice vedette Ch'oe Unhui en Corée du Nord. Il y tourne cinq films avant de s'évader et de s'installer à Hollywood où il poursuit avec succès une activité de producteur. Il vit aujourd'hui à Séoul.

Quels sont vos premiers souvenirs de spectateurs ?

Shin Sang-Okk :

Quand j'étais petit j'allais souvent au cinéma, j'ai vu beaucoup de films interdits pour mon âge. J'ai vu ceux de Chaplin et d'Eisenstein. J'ai aussi vu beaucoup de films coréens, des films que la plupart des coréens n'ont jamais vu. Ces films ont tous disparu pendant la guerre.
Cependant, je crois qu'il n'y a eu qu'un ou deux véritables auteurs à l'époque. La plupart des films étaient des coproductions japonaises.
Je me souviens d'avoir été très marqué par Na Ungyu qui a réalisé " Arirang " , cependant il n'y avait que quelques films coréens par an.
Plus tard, quand j'ai commencé mes études d'art j'ai pris conscience de ce vide et je me suis tourné vers le cinéma pour reconstruire le cinéma coréen.

Vous avez d'abord été peintre, quel type de peinture faisiez-vous ? De la peinture coréenne ou de la peinture occidentale ?

Shin Sang-Okk :

Je faisais de la peinture à l'occidentale. A l'époque il faut dire que l'ensemble du public préférait la peinture occidentale à la peinture orientale. C'est vrai que la peinture occidentale se rapproche plus du cinéma que la peinture orientale traditionnelle, il y a des gros plans et une profondeur de champs qu'on ne trouve pas dans la peinture orientale qui est plus "fade ".

En tant que peintre, j'avais donc déjà  une vocation de cinéaste : la peinture occidentale était pour moi un moyen de faire du cinéma sans les contraintes techniques et économiques. La peinture occidentale n'a été pour moi qu'un détour pour retrouver un esprit coréen. La beauté de la peinture orientale c'est la beauté du vide, la beauté d'un monde non-vu.

C'est avant tout cette beauté là que je recherche au cinéma. Evidemment, au cinéma il est difficile de filmer le vide. J'y parviens en travaillant sur la dissymétrie. Quand je compose mes plans, je ne cherche jamais l'équilibre, je remplis un côté du cadre pour créer un vide de l'autre côté. C'est aussi pour cela que j'aime placer mes personnages dans des cadres ( des fenêtres, des portes ) , j'exprime l'idée du vide à  travers cette dissymétrie .

Ce sont là des idées qui me sont venues de ma pratique de la peinture. La peinture occidentale et le cinéma sont arrivés en même temps en Corée. On peut dire que le cinéma a changé le regard des coréens, il était en avance sur la sociéré coréenne.


Vous dites souvent que les années 60 ont été une période dorée pour le cinéma coréen, cependant les films de cette époque décrivent un pays en crise, un pays qui souffre

Shin Sang-Okk :

Les années 60 ont été une période de rêve pour moi. Si mes films ont eu du succès c'est parce qu'ils avaient justement une vocation sociale, ce qu'ils décrivent était une réalité. Dans les années 60, nous avons eu plus de liberté pour nous exprimer que dans les années 70, la dictature a empiré avec le temps .
C'est un peu ce que j'ai montré dans " Yongsan gun " (1961). Le film est divisé en deux épisodes et dure en tout plus de 5h30. Au cours du film le roi Yongsan devient de plus en plus violent. C'était mon deuxième film en couleur, une production très spectaculaire. A travers cette super-production je dénonçais la politique en place. Pour la première fois un film historique parlait d'un personnage vivant. Yongsan est un personnage dont les sentiments sont très crédibles.

Je crois que sous la dictature militaire , les spectateurs ont trouvé avec Yongsan une manière de se défouler. Im Kwontaek a tourné une version de l'histoire de " Yongsan " dans les années 80, c'est un très bon film car il est très documenté sur le règne de Yongsan , mais c'est peut-être aussi pour cela qu'il a moins touché les spectateurs que mes films : il parlait d'une époque passée.

Il y a toujours dans vos films une composante érotique. Le cinéma-a-t-il aussi importé en Corée l'érotisme ?

Shin Sang-Okk :

Oui, " Les fleurs de l'enfer " était le premier film où l'on montrait une scène de baiser, j'ai d'ailleurs dû affronter la censure à  l'époque. Cela aussi a dû changer le comportement des spectateurs.

Vous avez inventé l'érotisme dans le cinéma coréen mais vous dites aussi volontiers que vous vous considérez comme un cinéaste confucianiste

Shin Sang-Okk :

C'est vrai , c'est tout à fait contradictoire mais je l'ai quand même fait ! [ rires!] Mais j'ai aussi parfois utilisé l'érotisme pour renforcer l'expression du confucianisme. C'est le cas dans " L'invité de la chambre d'hôte de ma mère " : la bonne est frivole mais la maîtresse de maison est un personnage très confucéen , c'est un jeu de contraste.

[ entre l'actrice Kang Suyon ]

Kang Suyon :

La Corée était une société très fermée à l'époque. Oser exprimer l'érotisme d'un personnage était presque impossible .Shin Sang-Okk a été le premier à filmer l'érotisme en Corée, il a longtemps été le seul. Pour notre génération il est un précurseur.

Shin Sang-Okk :

Dans les années 70 la censure est devenue plus dure et l'érotisme a disparu, mais il réapparait aujourd'hui dans un film brillant comme " Girl's Night out " ou dans " Lies " de Chang Sonu. Il a fallu attendre la fin de la dictature de Pak Chonghui pour que le cinéma coréen ressuscite pleinement.

Vous avez travaillé à Hollywood dans les années 80 mais vous n'y avait pas tourné comme réalisateur `

Shin Sang-Okk

J'ai brutalement pris conscience à ce moment de la différence culturelle entre deux civilisations et je n'ai pas pu faire de films. Je pense aussi que l'intérêt que peuvent susciter mes films en Occident depuis des années relèvent parfois d'un malentendu. Je suis très surpris quand les spectateurs étrangers apprécient " L'invité de la chambre d'hôte de ma mère " Mais cela prouve peut-être aussi qu'il y a dans chaque film un aspect universel .

© Adrien Gombeaud & pariseoul.com